Page:Tolstoï - Dernières Paroles.djvu/113

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des hommes que rien ne sépare d’eux mais avec lesquels ils vivent en étroite communion spirituelle ? Que peut-il y avoir de plus terrible pour ces peuples que cette crainte toujours pendantes qu’un fou quelconque, qui s’appelle l’empereur, dise quelque chose qui déplaise à un autre fou pareil ? Quoi de plus terrible que tous ces moyens de destruction inventés chaque jour : canons, bombes, grenades, mitraille, poudre sans fumée, torpilles et autres engins de mort ? Et cependant, tous les hommes, comme des bêtes poussées par le fouet sous la hache, iront docilement où on les enverra, périront sans révolte et tueront d’autres hommes sans même se demander pourquoi ils le font, et, non seulement ils ne s’en repentiront pas, mais ils seront fiers de ces pendeloques qu’ils seront autorisés de porter pour avoir bien tué, et ils élèveront des monuments à ce malheureux fou, à ce criminel, qui les aura obligés à ces actes.

Les hommes de l’Europe libérale se réjouissent de ce qu’on ne leur défende pas d’écrire toutes sortes de sottises et de prononcer n’importe quelles paroles aux dîners, aux meetings, aux Chambres, et ils se croient absolument libres, de même les bœufs qui paissent dans le pré de l’abattoir se croient tout à fait libres. Et cependant, jamais peut-être le despotisme du pouvoir ne causa aux hommes autant de malheurs