Page:Tolstoï - Dernières Paroles.djvu/114

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que maintenant, et ne méprisa autant les hommes qu’aujourd’hui. Jamais l’effronterie des violateurs et la lâcheté de leurs victimes n’atteignit le degré où nous les voyons.

Les jeunes gens se rendent aux casernes, les pères et les mères, ceux-là mêmes qu’ils ont promis de tuer, les accompagnent. Il est évident déjà qu’il n’y a pas humiliation ni honte que ne supporteraient les hommes d’à présent. Il n’y a pas de lâcheté, pas de crime qu’ils ne commettraient si cela leur faisait le moindre plaisir et les délivrait du plus petit danger. Jamais encore la violence du pouvoir et la dépravation des dominés n’avaient atteint tel degré. Il y eut toujours et il y a chez tous les hommes en possession de leur force morale quelque chose qu’ils tiennent pour sacré, qu’ils ne peuvent céder à aucun prix, au nom de quoi ils sont prêts à supporter les privations, les souffrances, la mort même, quelque chose qu’ils n’échangeraient pour aucun bien matériel. Et presque chaque homme, si peu développé soit-il, le possède. Dites à un paysan russe de cracher l’hostie ou de blasphémer l’icône, il mourra plutôt que de le faire. Il est trompé, il croit que l’icône est sacrée et ne tient pas pour tel ce qui l’est vraiment (la vie humaine), mais il y a pour lui quelque chose de sacré qu’il ne céderait pour rien. Il y a une limite à sa soumission ; il y a