Page:Tolstoï - Dernières Paroles.djvu/36

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… Mais j’appris la discipline, à savoir que le caporal a toujours raison lorsqu’il parle au soldat, le sergent lorsqu’il parle au caporal, le sous-lieutenant au sergent-major, ainsi de suite jusqu’au maréchal de France ; — quand ils diraient que deux et deux font cinq ou que la lune brille en plein midi.

Cela entre difficilement dans la tête, mais quelque chose vous aidera beaucoup, c’est une espère de pancarte affichée dans les chambrées et qu’on lit de temps en temps, pour vous ouvrir les idées. Cette pancarte suppose tout ce qu’un soldat peut avoir envie de faire, par exemple, de retourner dans son village, de refuser le service, de résister à son chef, et cela finit toujours par la mort ou cinq ans de boulet au moins. (Erckmann-Chatrian, Histoire d’un conscrit de 1813, p. 119-120.)


… Pourquoi le nègre se vend-il ? ou pourquoi se laisse-t-il vendre ? Je l’ai acheté, il m’appartient ; quel tort lui fais-je ? Il travaille comme un cheval, je le nourris mal, je l’habille de même, il est battu quand il désobéit ; y a-t-il là de quoi tant s’étonner ? Traitons-nous mieux nos soldats ? N’ont-ils pas perdu absolument leur liberté comme ce nègre ? La seule différence entre le nègre et le guerrier, c’est que le guerrier coûte bien moins. Un beau nègre revient à présent à cinq cents écus au moins, et un beau soldat en coûte à peine cinquante. Ni l’un ni l’autre ne peut quitter le lieu où il est confiné ; l’un et l’autre sont battus pour la moindre faute. Le salaire est à peu près le même, et le nègre a sur le soldat l’avantage de ne point risquer sa vie, et de la passer avec sa négresse et ses négrillons. (Questions sur l’Encyclopédie, par des amateurs, t. IV, 1775, Extrait de l’article sur « l’Esclavage », p. 192-193.)