Page:Tolstoï - Dernières Paroles.djvu/38

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chrétien croyant, ou même incroyant, mais pénétré de l’idéal chrétien de la fraternité des hommes et de l’amour dont sont animées les œuvres des philosophes, des moralistes et des artistes de notre temps, comment un tel homme peut-il prendre un fusil, ou se mettre près d’un canon et viser la foule de ses semblables avec le désir d’en tuer le plus possible ?

Les Assyriens, les Romains, les Grecs pouvaient croire qu’en guerroyant, ils agissaient non seulement d’accord avec leur conscience, mais commettaient une œuvre pie. Mais que nous le voulions ou non, nous, chrétiens, quelque déformé que soit l’esprit général du christianisme, nous ne pouvons pas ne point nous élever à ce degré supérieur de la raison où il nous est impossible de ne pas sentir par tout notre être, non seulement l’insanité, la cruauté de la guerre, mais sa contradiction absolue avec ce que nous croyons bon et juste. C’est pourquoi nous ne pouvons faire la guerre, non seulement avec assurance, fermeté et calme, mais sans la conscience de notre criminalité, sans le sentiment angoissant de l’assassin qui, après avoir commencé à tuer sa victime, reconnaissant, au fond de son âme, l’atrocité de l’œuvre commencée, tâche de s’étourdir, de s’exciter, pour être en état de terminer cette œuvre horrible. Cette excitation