Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/49

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qui était entrée à pas de loup pour les admirer… et Sonia aussi… quelles beautés ! »

Enfin, à dix heures un quart, on monta en voiture, et on se dirigea vers la Tauride.

Malgré son âge et sa laideur, Mlle Péronnsky avait passé par les mêmes procédés de toilette, avec moins de hâte, il est vrai, vu sa grande habitude ; sa vieille personne, bichonnée, parfumée et vêtue d’une robe de satin jaune ornée du chiffre de demoiselle d’honneur, excitait également l’enthousiasme de sa femme de chambre. Elle était prête et accorda de grands éloges aux toilettes de la mère et des filles. Enfin, après force compliments, ces dames, tout en prenant bien soin de leurs robes et de leurs coiffures, s’installèrent dans leurs équipages respectifs.


XV

Natacha n’avait pas eu de la journée un seul moment de liberté, pas une seconde pour réfléchir à ce qu’elle allait voir ; mais elle en eut tout le loisir pendant le long trajet qu’elles eurent à faire par un temps froid et humide, et dans la demi obscurité de la lourde voiture où elle était emboîtée, serrée et balancée à plaisir. Son imagination lui représenta vivement le bal, les salles inondées de lumière, l’orchestre, les fleurs, les danses, l’Empereur, toute la brillante jeunesse de Pétersbourg. Cette attrayante vision s’accordait si peu avec l’impression que lui faisaient éprouver le froid et les ténèbres, qu’elle ne pouvait en croire la réalisation prochaine ; aussi ne s’en rendit-elle bien compte que lorsque, après avoir frôlé de ses petits pieds le tapis rouge placé à l’entrée et ôté sa pelisse dans le vestibule, elle se fut engagée avec Sonia, en avant de sa mère, sur le grand escalier brillamment éclairé. Alors seulement elle pensa à la façon dont elle devait se conduire, et s’efforça de se composer ce maintien réservé et modeste qu’elle tenait pour indispensable à toute jeune fille dans un bal ; mais elle sentit aussitôt, heureusement pour elle, que ses yeux ne lui obéissaient point, qu’ils couraient dans tous les sens, que l’émotion lui faisait battre le cœur à cent pulsations par minute et l’empêchait de voir clair autour d’elle ! Il lui fut