Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/41

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pourquoi nous avoir mariés ?… Elles viendront toutes les deux demain.

— Mais pourquoi vous a-t-on déjà amenés ? il n’en était même pas question et tout à coup…

— Ils ont peur que je me tue, répondit Ilia en souriant… Il n’y a pas de danger. Je saurai toujours me tirer d’affaire, même étant soldat. La seule chose qui m’afflige, c’est de penser à la douleur de ma pauvre mère et de ma femme… Pourquoi m’ont-ils marié ? continua-t-il d’une voix triste et mélancolique.

La porte s’ouvrit, puis se referma sans bruit. C’était le vieux Doutlof qui entrait, secouant ses habits, son chapeau couvert de neige, les pieds chaussés de laptis[1].

— Afonassi, dit-il en s’adressant au portier, avez-vous une lanterne ? je voudrais donner de l’avoine aux chevaux.

Doutlof jeta un regard sur Ilia et allume un petit reste de chandelle. Ses gants et son fouet étaient enfoncés derrière sa ceinture, sa figure paisible et tranquille comme s’il ne s’agissait que d’une simple commission qu’il venait de faire en ville.

Ilia, en voyant son oncle, se tut instantanément, puis s’adressant au bailli, il lui dit d’une voix sombre :

— Ermile, donne-moi de l’eau-de-vie ?

— De l’eau-de-vie ! Ce n’est pas le moment ; tout le monde est déjà couché. Toi seul, tu es turbulent.

Ce mot « turbulent » lui inspira l’idée de l’être.

— Bailli, si tu ne me donnes pas de l’eau-de-vie, je ferai du scandale.

  1. Espèce de sabot.