Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/7

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vres, l’ombre que faisait son bonnet à ruches épaisses, et ne cherchait même pas à comprendre le sens de ses paroles.

La maîtresse parla longtemps et beaucoup. Il commençait par éprouver le besoin de bâiller, mais, heureusement pour lui, il mit la main à sa bouche et fit semblant de tousser. Pendant tout ce temps, sa figure avait une expression d’obséquieuse attention.

J’ai vu, dernièrement, à une séance du Parlement anglais, lord Palmerston écouter le discours d’un de ses adversaires pendant trois heures, la figure recouverte de son claque. Aussitôt qu’il eut fini, lord Palmerston se leva et répondit au discours de son adversaire de point en point. Je ne m’en doutais nullement, parce que j’avais assisté souvent aux entretiens de Iégor Ivanovitch et de sa maîtresse.

Je ne sais s’il avait peur de s’endormir, mais il transporta le poids de son corps du pied gauche sur le pied droit, et commença de sa voix sacramentelle :

— Qu’il en soit fait selon votre volonté, madame, mais… mais le peuple est réuni devant la maison, et il faut que vous preniez une décision. Il est écrit, dans l’ordre que nous avons reçu, que les conscrits doivent être amenés en ville avant la Toussaint. Parmi les paysans, il n’y a personne d’autre que les Doutlof. Il va sans dire que les paysans ne prennent pas vos intérêts à cœur ; cela leur est bien égal si les Doutlof sont ruinés. Je sais quels efforts ils ont faits pour joindre les deux bouts. Les voilà enfin un peu à flot depuis que le neveu est revenu et nous allons les ruiner ! Vous savez, madame, que je prends vos intérêts à cœur comme si c’étaient les miens. C’est dom-