Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

moutonné, rien de beau. Il se dit avec dépit que montagnes et nuages avaient le même aspect, et que leur prétendue beauté n’était qu’une déception, comme la musique de Bach et l’amour, et il cessa d’y rêver.

Le lendemain, la fraîcheur de l’air le réveilla avec l’aube ; il jeta un regard indifférent à droite. La matinée était belle et sereine ; il aperçut tout à coup (il lui parut que c’était à vingt pas) des masses énormes d’une blancheur éclatante se dessiner en légers contours et en lignes capricieuses sur un ciel lointain. Quand il comprit combien ces hauteurs imposantes étaient loin de lui, il sentit leur incomparable beauté, fut saisi d’une terreur secrète et se crut le jouet d’un rêve. Il se secoua pour s’assurer qu’il était bien réveillé. Oui, les montagnes étaient là, bien réellement devant lui.

« Qu’est-ce ?… que vois-je ? s’écria-t-il.

— Mais ce sont les montagnes, répondit d’un ton indifférent le yamchtchik.

— Je les admire depuis longtemps, dit Vania ; est-ce beau ? Personne chez nous n’y croirait. »

La chaîne paraissait fuir à l’horizon devant l’allure rapide de la troïka, et ses cimes neigeuses se coloraient d’une teinte rose sous les premiers rayons du soleil.

Olénine fut d’abord frappé de stupeur, puis ravi ; à mesure qu’il admirait tantôt l’un, tantôt l’autre de ces sommets éblouissants, il voyait toute la chaîne se dérouler du fond des steppes et fuir devant lui. Il se pénétrait peu à peu de sa beauté et finit par la sentir profondément. Depuis ce moment tout ce qu’il vit, tout ce qu’il pensait, se ressentit du cachet majestueux des montagnes. Les souvenirs du passé, ses fautes, son repentir, ses folles illusions, tout s’effaça.

« C’est maintenant que tu commences à vivre ! » lui murmura à l’oreille une voix mystérieuse. Le Térek qui serpentait au loin, les stanitsas, les Cosaques, tout prit un aspect solennel à ses yeux. Il regardait le ciel et rêvait