Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/23

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La femme du khorounji ne l’ignorait pas, mais la nouvelle venue avait envie de parler de son fils, qui venait d’entrer au service, et qu’elle voulait marier avec Marianka.

« Reste-t-il au cordon ?

— Il y est, la mère. Il n’est pas rentré depuis la fête dernière. Je lui ai envoyé des chemises par Fomouchkine, qui m’a rapporté que ses chefs l’aimaient. Il dit encore qu’on est sur la piste des Abreks, et que Lucas a l’air content et heureux.

— Eh bien ! que Dieu en soit loué ! répondit Oulita, ton fils est un véritable ourvane[1]. »

On avait surnommé ainsi Lucas pour avoir sauvé un petit garçon qui se noyait.

« Dieu merci ! oui, c’est un bon fils, un brave garçon, dit sa mère ; si je parvenais à le marier, je mourrais tranquille.

— Qu’à cela ne tienne ; il y a bien des jeunes filles à la stanitsa, dit la rusée vieille en fermant la boîte aux allumettes.

— Il y en a ; certes assez, dit la mère de Lucas, branlant la tête, mais on chercherait loin la pareille à ta Marianouchka. »

Oulita devinait la pensée secrète de sa compagne, et Loukachka lui paraissait un parti convenable, mais elle cachait son jeu, parce qu’elle était riche et femme d’officier, tandis que Loukachka était orphelin et simple Cosaque. Elle n’avait pas non plus envie de se séparer sitôt de sa fille, et en troisième lieu les bienséances exigeaient qu’elle agît ainsi.

« Certainement, quand Marianka sera d’âge, elle ne sera pas plus mal qu’une autre, dit-elle d’un air réservé.

— Après la vendange je t’enverrai mes compères[2], dit

  1. Ourvane, du mot ourvate, « arracher » : il avait arraché un enfant à la mort.
  2. C’est ainsi qu’on nomme dans le peuple les gens chargés d’une demande en mariage.