Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/50

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même frais et dispos. Il se rappela la dernière campagne, les dangers qu’il avait courus, la manière honorable dont il s’était conduit, — pas plus mal que les camarades qui l’avaient accepté membre de la brave armée du Caucase. Les souvenirs de Moscou avaient disparu, l’ancienne existence s’effaçait à jamais, il entrait dans une nouvelle phase où il n’y avait pas encore eu de fautes ; il pouvait, au milieu d’une nouvelle société, reconquérir sa propre estime, et il éprouvait un sentiment de contentement inexplicable et irraisonné. Il jetait les yeux tantôt sur les petits garçons qui jouaient à la balle à l’ombre de la cabane, tantôt sur sa nouvelle demeure, et il se disait qu’il allait jouir en plein de cette vie de Cosaque qui lui était entièrement inconnue. Il contemplait le ciel et la chaîne lointaine et se pénétrait d’admiration pour les splendides beautés de la nature, qu’il mêlait à tous ses souvenirs, à tous ses rêves. La nouvelle ère n’avait pas commencé comme il se l’était tracée en quittant Moscou, mais elle valait bien mieux encore : elle avait le charme de l’imprévu. Et les montagnes ? les montagnes étaient toujours présentes à sa pensée.

« Diadia Jérochka a caressé la chienne ! il a léché la cruche ! il a troqué son poignard pour de l’eau-de-vie ! s’écrièrent tout à coup les enfants cosaques, se tournant vers la petite rue. Il a embrassé la chienne ! criaient les enfants se ruant les uns sur les autres et reculant devant Jérochka, qui avançait, sa carabine sur l’épaule et trois faisans pendus à sa ceinture.

— J’ai péché, mes enfants, j’ai péché ! répondit-il en agitant ses bras et en jetant ses yeux vers les fenêtres des maisons des deux côtés de la rue. Oui, j’ai donné ma chienne pour de l’eau-de-vie ! » continua-t-il, feignant l’indifférence, et, au fond, très vexé des railleries des enfants.

Olénine était étonné de l’insolence des petits Cosaques, mais encore plus frappé de la taille athlétique et du visage expressif du vieux chasseur.