Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/158

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moiseau. Or il avint que la barbe lui bourgeonnoit à peine, qu’il veit Henriette en la cour du chasteau et preint moult plaisir a la considérer, gente qu’elle estoit pour lors et d’avenante figure ; et humoit par ainsy faire le mal d’amour, ne pouvant à aultre chose songer durant le jour et les veilles de la nuict. Toutesfois ne sçavoit comme lui dire, estant neuf aux propos d’amour. Et aisé et sans paour qu’il estoit parmi les garçons, par devant la demoiselle estoit gauche et mal avisé. Or est-il que, toujours plus espris, se donna couraige ; et un jour, s’estant posté en la chambre de son aïeul où ce qu’elle debvoit venir, lui apprestoit, avec un boucquet, un tant magnifique témoignaige de la flamme dont il ardoit pour ses beaulx yeux. Et tant qu’elle ne vint pas, estoit merveilleux à lui en dire, en lui présentant gracieusement son boucquet. Ains oyant Henriette entrer, le jeta vistement dessoubs la table et devint muet, gauche, et plus mal apprins qu’un varlet prins en faulte. Henriette de son costé l’ayant veu, et le boucquet épars, rougit merveilleusement ; en telle façon qu’ils estoient la en face, rouges comme deux pavots des champs, et sans plus dire. Et y feussent encore sans l’aïeul, lequel entré : « Que faites-vous céans ?… » etc.




Je lus et relus mille fois cette page. J’étais transporté de joie ; car, comparant dans mon esprit les naïfs incidents de cette histoire avec ce que j’avais lu sur le visage de ma juive, j’avais tout lieu de croire que ma timidité et ma gaucherie ne lui avaient pas déplu, comme j’avais pu inférer, de son entretien avec mon