Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/185

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et ils savent que là où est la famille tout s’épure ; que, rassemblée, c’est un sanctuaire d’où la souillure est bannie.

Ce furent les plaisirs de nos pères ; les traces en demeurent, mais elles s’effacent au milieu de cet universel changement des mœurs où viennent se perdre à la fois et l’antique rudesse et l’antique bonhomie ; où, contre un bien-être croissant, mais sans saveur, s’échangent de jour en jour les joies simples conquises par le labeur, les douceurs de la fraternité, et la sainte force des liens de la famille.




Mais ce qui, en tout temps, porte le plus de ravages dans la simplicité et la bonhomie des plaisirs, c’est le bourgeon, l’indomptable bourgeon. C’est lui qui éclaircit les rangs de ces aimables et honnêtes promeneurs ; c’est lui qui proscrit ces plaisirs sans faste et sans dépense ; c’est lui qui veut que son homme parade sur quelque place publique ; c’est lui qui lui conseille cette moustache et cet éperon, qui n’ont de prix que sur le seuil d’un café ou sur le pavé d’une rue de bon ton ; c’est lui qui lui fait, le dimanche, éviter sa rue, sa boutique, son père lui-même et les lieux où il est ; c’est lui qui lui fait trouver de l’agrément à cette rosse qui le traîne dans un reste de fiacre, jaune comme un vieux revers de botte, jusque dans quelque auberge enfumée ; c’est lui, autant et plus que le plaisir, qui l’éloigne de la société des siens, et qui lui donne ce ton déshonnête, ce propos licencieux dont il réjouit les amis de son choix !

Oui, c’est le bourgeon qui gouverne l’homme ! Si ce n’est de cette façon, c’est d’une autre, et toujours avec plus d’empire à mesure qu’il s’élève en condition. C’est