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champignon ; je vis en regard de mon champignon. Ainsi ce mal m’occupe beaucoup, mais je ne trouve pas qu’il guérisse de l’autre, l’ennui.

Je bâille donc. Quelquefois j’ouvre un livre. Mais les livres… si peu sont agréables ! Les bons ? c’est sérieux, profond ; il faut se donner de la peine pour saisir, de la peine pour jouir, de la peine pour admirer… Les nouveautés ? j’en ai tant lu, que rien ne me paraît si peu nouveau. Avant de les ouvrir, je les connais ; au titre, je vois toute l’affaire ; à la vignette, je sais le dénoûment ; et puis mon champignon qui ne supporte pas les émotions vives.

Les études sérieuses ? j’en ai aussi essayé ; commencer n’est rien, mais poursuivre… je me demande bientôt dans quel but. Ma carrière, à moi, c’est de vivre de mes rentes, c’est d’aller à cheval, c’est de me marier et d’hériter. Sans que je prenne la peine d’apprendre rien, j’aurais tout cela, et le reste aussi. Je suis colonel dans la garde nationale ; on me porte au conseil ; j’ai refusé d’être maire : les honneurs pleuvent sur ma tête. Et puis, mon champignon qui ne s’accommoderait pas d’une grande contention d’esprit.

— Qu’est-ce ? — Le journal. — Donne, c’est bon. Voici de quoi me récréer quelques instants. Je cherche aux nouvelles, j’entends aux nouvelles de ville ; car celles d’Espagne me touchent peu ; celles de Belgique m’assomment. Allons ! point de suicide… point d’accident sinistre ; rien en meurtres ni incendies. Le sot journal ! C’est voler l’argent de ses abonnés.

Que je regrette les beaux jours du choléra ! Dans ce temps-là, mon journal m’amusait : il tenait ma frayeur en haleine, et le plus petit fait relatif au monstre m’intéressait à lire. Je le voyais avançant, reculant, venant