Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/274

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mon amour… qui m’empêcherait de suivre un penchant honnête ?… qui pourrait blâmer que j’eusse le désir de partager ma richesse avec son dénûment, d’appuyer sa faiblesse sur ma force, de lui donner un nom si elle n’en a point, et de trouver dans ces nobles et généreux motifs un bonheur plus vrai, plus pur et plus mérité que celui que je puis attendre de l’accord de quelques convenances vaines et factices ?… Ah ! mon parrain, je voudrais en avoir la force : je voudrais n’être pas déjà énervé, corrompu par les maximes du monde où je vis, enchaîné par mille liens qui me gênent et m’entravent sans me donner le bonheur, et je saurais le trouver enfin auprès de cette modeste compagne, objet de vos dédains et de vos outrages !

— Tu prêches à merveille, mais comme un sot. Ces idées-là, on en est revenu. C’est bien dans les romans ; dans la vie, c’est niaiserie. Si jamais tu faisais pareille sottise, souviens-toi que tu partageras ton bien, mais non pas le mien. Je ne l’ai pas gardé, augmenté, bonifié, pour le faire tomber aux mains d’une grisette, pour l’employer justement à faire déchoir une famille, et le dissiper à soutenir les gens de bas étage que tu nous auras donnés pour parents.

Ces paroles n’étaient pas propres à me ramener ; je pris mon parti aussitôt : — Pour l’heure, mon parrain, je ne songe pas à me marier ; mais j’aspire à le pouvoir faire librement, quand et comment il me conviendra, fût-ce avec cette jeune personne que vous méprisez sans la connaître. Il est trop juste, dans ce cas, que je me défasse de toute prétention à votre héritage. Reprenez-le, et rendez-moi le droit de disposer de moi. Que ce soit sans nous en vouloir mutuellement. Pour vous, croyez-m’en, je vous en conjure, vous ne m’en serez