Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/277

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encore, si, épris des charmes d’une enfant qui n’est que belle et pure, il méconnaît son propre rang et aspire à déchoir.

Pour moi, je ne sentis d’abord que le plaisir d’avoir secoué le joug, et je rentrai dans ma chambre le cœur content et plein de vie. Je l’avoue, en songeant aux sentiments qui m’avaient inspiré mes réponses, quelque orgueil se mêlait à ce contentement ; et, bien que je n’eusse encore formé aucun projet sur la jeune fille dont j’avais pris la défense, je m’applaudissais d’avoir eu le courage de parler et d’agir avec autant de chaleur que je l’eusse pu faire par ce motif intéressé. Mais d’autres sentiments encore m’agitaient : j’avais rompu ma chaîne, mon sort m’appartenait en propre, j’étais libre, et la liberté ne se recouvre pas sans ivresse. Ma petite fortune, que j’avais toujours envisagée comme la source d’un bien-être provisoire, prit tout à coup de la valeur à mes yeux ; elle devint un bien réel et présent, et dès ce moment me fut précieuse et chère. Je pouvais du moins en disposer à ma fantaisie, la partager avec qui bon me semblerait ; j’avais de l’intérêt à croître, et, au lieu de cette torpeur dans laquelle j’avais été élevé, quelques lueurs d’ambition me faisaient considérer sans répugnance l’activité des projets et la nécessité du travail. Par un effet machinal que provoquait en moi l’instinct de la propriété réveillé par ces idées, je rangeais les pincettes à leur place, je mettais en ordre ma boîte à rasoirs ; et, jetant un regard ami autour de ma chambre, je trouvais à chaque objet, à chaque meuble, un prix tout nouveau. Bientôt, l’amour du chez-soi me faisant sentir ses premières atteintes, je voyais d’un autre œil mon domestique Jacques, je pensais à le former, à me l’attacher ; et, considérant pour