Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/280

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brodequins d’étoffe grise, lacés sur le côté. Entrant ensuite dans sa demeure, j’en parcourais de nouveau tous les recoins, m’arrêtant à quelques meubles de prix, qui m’avaient paru être les débris d’une aisance passée et comme les indices d’une certaine élégance de mœurs. J’avais vu sur un fauteuil une mante en étoffe de soie noire, bordée d’une pelisse de même couleur ; et ce vêtement, que j’avais jugé appartenir à la mère, me donnait de son air et de sa mise une idée de noblesse et de simplicité vénérable. Mais surtout je me souvenais qu’en cherchant du vinaigre mes yeux étaient tombés sur une table où, parmi des feuilles de papier éparses, j’avais remarqué quelques volumes proprement reliés, et dont le seul qui se trouvât ouvert dans ce moment était le poëme anglais de Thompson sur les Saisons. Réunissant tous ces indices, et les rapprochant du son de voix, de l’accent, des manières, et surtout de la craintive réserve de ma jeune protégée, j’arrivais par degrés à compléter d’une façon charmante l’image imparfaite qui m’en était restée ; et, satisfaisant ainsi aux exigences que l’éducation des goûts et des habitudes aristocratiques m’avait rendues comme naturelles, je me surprenais à l’aimer cent fois davantage. L’impatience de la revoir devenait alors pressante ; et je regardais avec anxiété l’aiguille de ma pendule, incertain si, malgré l’heure déjà avancée, je n’y porterais point sur-le-champ mes pas. Bientôt je me levai subitement et je sortis.