Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/297

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affreux. Un soleil pâle éclairait d’une lumière argentine les champs sans verdure et les arbres sans feuillage, et la neige des montagnes brillait faiblement derrière une brume légère. Mais mon cœur réchauffait de ses propres feux cette nature glacée, et, comme attendri par l’espoir d’une félicité prochaine, il se peignait le bonheur et l’amour versant leurs dons jusque sur les moindres chaumières éparses dans les prés qui bordaient la route. Je me souviens que, m’étant assis pour attendre M. Latour, mes yeux s’arrêtèrent sur l’une de ces cabanes, presque ensevelie sous l’épais branchage des ormeaux, et d’où s’échappait une tranquille fumée. Je m’avisai de fixer mon sort sous cet humble chaume, j’y appelai mon amante, j’y arrangeai ma vie ; et, animant insensiblement ces ombrages dépouillés du charme vivant de mes rêves, mon impatience, quelques instants trompée, laissait errer mes pensées autour de ce rustique asile. Quelquefois l’avenir donne aux songes du cœur comme l’air d’un pressentiment. Peu d’années après, c’est dans une retraite voisine de ce lieu que j’ai vu les miens se réaliser.

Pendant que j’étais assis, un char qui parut à l’extrémité de la route me fit lever comme en sursaut, et courir à sa rencontre. Je reconnus de loin qu’il était vide, et j’allais passer outre, quand l’homme qui le conduisait, après avoir ralenti le pas de son cheval, finit par arrêter, et me demanda si je n’étais point la personne que M. le pasteur Latour envoyait chercher… En un clin d’œil je fus dans le char, qui rebroussa rapidement. Aussitôt le trouble et l’émotion, succédant à l’impatience, m’ôtèrent toute présence d’esprit, en sorte que j’aurais donné tout au monde pour que le char m’emportât avec moins de vitesse.