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recouvrent des corps d’hommes, des hameaux, des pays entiers. De loin en loin, quelques hardis chasseurs ont escaladé les Fiz ; ils disent que sur cet âpre sommet on trouve un lac sombre, profond, dont on raconte, dans la contrée, des choses merveilleuses.

Le dernier village que l’on dépasse, lorsqu’on monte de Servoz, c’est le village du Mont. Frappé du délabrement qui régnait dans ce petit hameau, où je n’apercevais ni habitants ni bestiaux, j’y fis halte auprès d’une fontaine ; mais personne ne parut à qui je pusse demander la cause d’une solitude si profonde. Si je l’eusse pu, un triste désenchantement eût accompagné ma curiosité satisfaite ; en effet, dès le lendemain, en entrant à Bonneville, notre cocher m’indiquait du doigt la prison qui recelait tous les malheureux habitants de ce village.

C’est une histoire funeste. Ce hameau, comme les autres de la vallée, avait sa part de biens et de vertus ; comme dans les autres, le travail, la simplicité des mœurs y faisaient régner l’ordre, une modique aisance ; les générations s’y succédaient, obscures, mais unies et paisibles. Cependant quelques-uns, à la fin des guerres de l’empire, revenus dans leurs foyers, y rapportèrent des habitudes d’oisiveté, d’ivrognerie ; ils y enseignèrent comment ailleurs on délaissait l’église, comment on s’y moquait du curé ; ils dirent que les Savoyards sont en estime à Paris, qu’en peu d’années ils y recueillent pour des services point rudes une grosse somme d’argent : en sorte que plusieurs, séduits, s’expatrièrent, pour revenir après quelques années. Ils rapportaient la grosse somme, mais, en même temps, des vices inconnus, un libertinage honteux, la science et le besoin de la débauche. Déjà auparavant le dédain