Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/325

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core pu prononcer une seule parole. De temps en temps, quittant la main de sa fille, il serrait la mienne ; il serrait celle du guide, et cet homme lui répondait avec simplicité : « Je vous disais bien, mon bon monsieur, c’est rien !… » Non, courir de grands dangers ; voir pendant deux heures comme prochaines, comme présentes, les atteintes de la mort, ce n’est point acheter à trop haut prix ces moments sans pareils, où l’espérance renaît au sortir de l’angoisse, où le bonheur reparaît soudainement dans toute sa chaude vivacité, où la joie du cœur déborde, se répand au dehors, se confond dans la joie de tous et de chacun. J’oublierai bien des folles joies, bien des riants plaisirs que j’ai cueillis sur le sentier de la vie ; mais jamais mon cœur ne perdra le souvenir de cette heure passée avec trois étrangers, dans un chalet enfumé, au sein des neiges, et au bruit de la tempête !

Le guide, toujours actif et prévoyant, avait fabriqué auprès du feu une sorte d’étendage où il suspendait et retournait nos vêtements ; ceux de la jeune miss s’étaient séchés sur sa personne ; et, déjà remise sur son séant, elle assurait pouvoir partir. Par le trou que nous avions fait à la toiture, et que Félisaz avait agrandi pour fournir à l’entretien de notre feu, un rayon de soleil qui se fit jour en cet instant acheva de nous rendre la sécurité. — Signe de froid, dit le guide ; la neige portera. C’est égal, mes souliers ne seront pas de trop sur les pierres. Il désignait ainsi une sorte de semelle en bois qu’il venait de tailler avec son couteau pour l’usage de la jeune miss, dont la chaussure délicate, et déjà fort endommagée, n’était en état de résister ni à l’humidité des neiges, ni, plus bas, aux aspérités du sentier. Pendant que nous achevions nos préparatifs de départ, il