Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/331

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je coupé en deux la prémier, comme aussi la sécond, et encore la troisième avec ! » Par ce troisième il désignait le chef.

Les choses auraient pu finir d’une manière tragique, tant était grande l’exaspération de ce digne gentleman, lorsque je m’avisai d’intervenir. « Que monsieur, dis-je, fasse passer ses habits aux douaniers, et ils exécuteront leurs ordres sans que sa dignité ait à en souffrir le moins du monde. » À peine eus-je ainsi parlé, que l’Anglais, acquiesçant à ces conditions, ôta ses habits précipitamment, les jetant à mesure à la figure des douaniers. Il se mit nu comme la main, et je n’oublierai jamais de quel air il coiffa le chef avec sa chemise, en disant : Téné ! misérabel ! téné !

J’ai eu moins souvent affaire aux contrebandiers ; cependant j’eus quelque rapport avec eux le jour où je m’avisai de vouloir passer seul de Sixt à Sallenche par les montagnes dont j’ai parlé. Je m’étais fait indiquer la route : une heure avant d’arriver au sommet, on côtoie un petit lac nommé le lac de Gers : au delà on suit une arête de rocs qui traverse une plaine de neiges glacées ; après quoi, l’on redescend vers les forêts qui couronnent, du côté de Sallenche, la cascade de l’Arpenas. Au bout de trois heures d’une montée rapide, je découvris le petit lac. C’est un étang encaissé entre des pentes verdoyantes, qui s’y reflètent en teintes sombres, tandis que la transparence de l’onde laisse plonger le regard jusqu’aux mousses éclatantes qui, au fond, tapissent le sol. Je m’assis au bord de cette flaque, et, à l’instar de Narcisse, je m’y regardais… je m’y regardais manger une aile de poulet sans que le plaisir de contempler mon image me fît perdre un seul coup de dent.