Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/350

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moins l’impression qu’elle produisit sur moi. Mais j’ai remarqué une chose : c’est qu’en voyage toutes les demoiselles me produisent cette impression ; d’où je conclus que cette demoiselle n’était peut-être ni plus enchanteresse ni plus belle qu’une autre.

En voyage, le cœur prend des allures romanesques et aventureuses, il s’épanouit plus promptement, il est décidément plus tendre ; le sexe ou la beauté, comme dirait un agréable, lui apparaît plus encore qu’en d’autres temps digne de ses hommages ; et comme d’ordinaire, dans ces rencontres fortuites, nul projet sérieux, nul calcul d’hyménée ne retient comme un lest salutaire l’essor du pur sentiment, le sentiment pur prend aussitôt son vol, et s’élève en peu d’instants à une hauteur prodigieuse.

Et non-seulement le cœur se comporte ainsi en voyage, mais il est sûr aussi qu’une jeune personne y contracte certains attraits de circonstance qu’elle ne saurait avoir dans un salon. Elle est isolée d’abord, isolée de ses compagnes plus belles ou aussi aimables ; c’est une fleur plus ou moins rare, plus ou moins brillante : mais cette même fleur, qui ne serait rien perdue dans l’orgueilleux éclat d’un bouquet, plaît, touche, paraît charmante et gracieuse lorsque, solitaire sur une pelouse écartée, elle en anime l’aspect et y répand ses parfums. Au fond, est-il rien de bête comme un bouquet, indigne sérail où un maître stupide entasse beauté sur beauté, et des ruines de chacune se compose un assemblage éclatant mais sans grâce ; des parfums délicats de chacune, une grossière odeur ? Va, va, vil sultan, salis, flétris, immole à tes plaisirs la fraîcheur de mille roses..... Pour moi, j’irai chercher ma fleur aux lieux où elle balance sa tige solitaire, et, jaloux de ses