Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/359

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guinées pour se faire respecter et chérir des aubergistes du continent.

Le Français, au contraire, était éminemment communicatif, aisé et vif dans ses manières, hautement enthousiaste des beautés alpestres, dont il n’avait d’ailleurs nul sentiment. Comme les Anglais, il était charmé de la limpidité des ondes, mais c’était pour en avoir comparé la fraîcheur aux eaux tièdes qu’on boit à Paris. Les cimes l’enchantaient, mais c’était en vue des sauts prodigieux qu’ont à faire les chamois pour passer de l’une à l’autre, et surtout dans l’espoir de les y poursuivre bientôt, lorsqu’il aurait reçu de Paris un excellent fusil de chasse de Lepage, qu’il s’était hâté d’y demander. « Le premier que j’abats, disait-il, je l’envoie à Prague ! » D’ailleurs, il était habillé comme le serait Robinson accoutré par une modiste. Un charmant chapeau imperméable, à petites ailes, était coquettement posé sur sa chevelure lustrée ; une cravate, imperméable aussi, lui serrait le cou ; sa lévite en velours, avec les pans également échancrés par-devant pour faciliter la marche, une taille basse et étranglée pour donner de la légèreté, était fournie de poches et de contre-poches remplies de futilités microscopiques, dont la plupart étaient sans usage, soit par leur nature, soit en vertu même de leur ténuité portative. Mais un chef-d’œuvre de l’art, c’était sa canne. Cette canne se déployait en chaise, pour jouir commodément des points de vue ; elle s’ouvrait en parasol, pour préserver des ardeurs du soleil ; elle se refermait en bâton, pour gravir les montagnes. Le bâton était lourd comme un soliveau, le parasol échancré comme une aile de chauve-souris, la chaise confortable comme un tabouret sans paille ; et, néanmoins, le possesseur satisfait, triomphant à cause