Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/361

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pas pratiquée : j’ai chassé au chevreuil, au sanglier ; je l’aurais abattu sans le roi, à qui on laisse l’honneur du coup… Un fait curieux, c’est qu’on ne tire pas le chamois en ligne droite, en face de soi, comme une bécasse. Le chamois est fin, défiant ; s’il aperçoit le bout d’une carabine, adieu ! courez-lui après… Mais que font-ils ? Voici le chamois sur la pointe de son roc, eh bien, le chasseur, qui s’est embusqué, ajuste un roc voisin, près, loin, c’est selon : le coup part, la balle ricoche, et le chamois tombe sans savoir d’où lui vient cette prune… Voilà qui est fort, je crois ! — Guide, interrompit en cet instant un des Anglais, faisé diligence. Je craigné que nous avons le pluie ; nous marchons en avant. À ces mots, tous les quatre nous nous levâmes pour nous mettre en route, au moment où les géologues entraient à Valorsine. Au delà de ce hameau, la vallée se resserre ; bientôt après, l’on se trouve engagé dans les sauvages défilés de la Tête-Noire.

Le temps, si radieux le matin, avait effectivement bien changé. De blanches et fines vapeurs, flottant avec rapidité, avaient voilé insensiblement l’azur des cieux, et terni l’éclat du soleil : à cette heure elles se formaient en menaçantes nuées qui s’amoncelaient tumultueusement autour des cimes. Un vent chaud qui soufflait de la vallée du Rhône remontait avec impétuosité cette gorge étroite, en soulevant les sables, en couchant les herbes, et en sifflant dans la chevelure des sapins. Nous cessâmes de causer, et, marchant avec vitesse, nous dépassions de temps en temps de petites croix plantées en terre sur les bords du sentier. Ces croix marquent la place où, durant l’hiver et aux premiers redoux du printemps, des montagnards ont péri, surpris par le froid ou par l’avalanche. Au pied de l’une d’elles, une