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pauvre femme agenouillée disait des prières pour le trépassé, pendant que sa chèvre, effrayée de notre approche, se mit à sauter de pierre en pierre jusque sur le rebord d’un petit ravin, d’où elle nous considérait curieusement. Bientôt après, l’orage éclata, la pluie survint ; mais nous arrivions à la Pierre des Anglais, où nous cherchâmes un abri.

Cette pierre est une énorme roche qui s’avance en saillie par-dessus le sentier. Une inscription, sculptée dans l’endroit le plus apparent, indique que ladite roche a été bien et dûment achetée de la commune par une dame anglaise. — Tiens ! dit notre Français en apercevant de loin l’inscription, un monument, un tombeau ?… Mais quand il eut lu la légende : — En voici une bonne ! s’écria-t-il en éclatant de rire… Parlez-moi d’un joujou comme celui-là… Je défie les géologues de l’emporter ! Et la commune, dites donc, pas bête… Soit ; nous sommes ici en Angleterre. Bien reconnaissant, messieurs de l’hospitalité, ajouta-t-il en s’adressant aux Anglais ; j’y voudrais seulement un roastbeef et du bordeaux.

Les deux Anglais, qui ne goûtaient nullement ce ton irrévérencieux, appliqué par un Français à un fait dont l’excentricité même leur paraissait au fond « iune chose grand ! » et la bizarrerie « iune chose national beaucoup ! » se renfermèrent dans une taciturnité à la fois dédaigneuse et décontenancée. Il était visible qu’avec très-peu d’effort, et sans autre soin que de flatter adroitement leur secrète pensée pour la faire surgir au dehors, on les eût amenés bien vite à s’exalter au sujet de ce trait « beautiful et enthusiastic, » à déclarer les Anglais et les Anglaises « la prémier péople de la terre, » que sais-je ? à entonner un rauque et solennel God save