Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/371

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motions, de terreurs et de joies, parmi les plus belles de sa vie… Je me hasardai alors à lui répondre que ce moment, où j’avais le bonheur de la rencontrer seule et de pouvoir lui faire l’aveu des sentiments dont mon cœur était plein, était un moment auquel je n’en pouvais comparer aucun dans ma vie passée, et dont je ne saurais jamais retrouver le pareil loin de sa présence. Ces paroles lui causèrent un trouble extrême. Pour faire diversion, et comme elle était transie par le froid de ces hauteurs, je la pressai de revêtir cette peau de mouton que j’avais apportée de Trient. C’est une sorte de manteau grossier, dont s’affublent les pâtres du pays. Elle se prêta à mon envie en souriant, et tandis que d’une main je tenais suspendu l’habit du pâtre, de l’autre j’allais, par l’ouverture des manches, à la rencontre de la sienne. Mais voici que, sous cet agreste accoutrement, les grâces délicates de son visage brillèrent d’un éclat si vif et si nouveau, que, transporté d’amour, mes lèvres s’égarèrent sur cette main que je tenais encore, et elles y imprimèrent un baiser. Confuse et tremblante, Émilie retirait sa main, lorsque des voix se firent entendre. Nous nous levâmes en sursaut. C’était le guide… et derrière lui le père !

Je n’ai jamais vu chez un père la joie de retrouver sa fille aussi expressivement mélangée du dépit de ne la pas trouver seule. Émilie, pour lui cacher sa rougeur, s’était élancée dans ses bras ; moi-même je m’empressai de lui témoigner combien je prenais de part à cette heureuse réunion ; et néanmoins ni ses paroles ni ses manières ne pouvaient en aucune façon se mettre à l’unisson des nôtres, bien que la situation lui commandât de se montrer tendre envers sa fille, et surtout reconnaissant envers moi. Aussi son embarras,