Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/399

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« C’est de ce moment, mon cher ami, que datent pour moi les jours d’un bonheur constant et sans nuage. Je bénis la Providence qui, par une mystérieuse voie et d’étranges circonstances, m’a conduit comme par la main au-devant du seul bien dont je fusse avide, et qui me l’a fait rencontrer alors même que je m’en croyais plus éloigné que jamais. Telles ont été ses dispensations à mon égard, qu’aujourd’hui l’affection, la reconnaissance et la joie se partagent mon cœur, et que ma condition présente tire des angoisses et des misères par lesquelles j’ai passé un charme inexprimable.

« Jenny avait perdu son père et sa mère ; il ne lui restait en Europe qu’un oncle chargé de famille. Ainsi la nécessité plus encore que l’affection aurait pu l’y rappeler ; moi-même je n’y serais retourné qu’avec répugnance. Mais, de plus, j’étais séduit par l’idée de demeurer au milieu de la société nouvelle au sein de laquelle venaient de s’ouvrir pour moi d’heureux jours. La contrée où nous étions était magnifique, à peine changée par les premiers travaux de l’homme, toute sauvage et silencieuse, et néanmoins animée sur quelques points par le mouvement de la civilisation naissante. J’étais désireux d’entrer dans ce mouvement, de revivre de cette vie simple et primitive, où les affections de famille, que relâchent vos mœurs et vos mondains plaisirs, se resserrent, se concentrent et se goûtent dans leur savoureuse plénitude. Je communiquai mes désirs à Jenny, qui les partagea aussitôt, et nous ne songeâmes plus qu’à les mettre à exécution. Je me présentai pour acquérir la maison et la propriété du beau-frère de ma femme, et, l’ayant obtenue pour un prix modique, je déposai une somme qui est retournée plus tard aux héritiers.