Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/40

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.

quelques années pour y arriver, et qu’appellerais-je sacrifice ce qui serait dès aujourd’hui une espérance pleine de charme et de bonheur !…

Pendant que j’achevais ces mots, je vis un nuage de tristesse se répandre sur le front de M. Prévère, et qu’une pénible réponse avait peine à sortir de ses lèvres. Après un moment d’hésitation : — Non, me dit-il avec un regard de compatissante douleur, non, Charles, je ne dois pas vous abuser… Il faut chasser ces pensées… Prenez courage, mon enfant… Louise aussi vous le dirait avec moi. Voudriez-vous qu’elle eût à choisir entre vous et l’obéissance qu’elle doit à son père ?

— Son père !… Et aussitôt une affreuse lueur vint m’éclairer. Je m’expliquai tout à la fois et la tristesse de M. Prévère, et l’air du chantre, et la lettre tout entière, et comment cet homme soupçonneux m’avait ravi jusqu’aux consolations que sa fille me préparait à l’avance. Son père ! repris-je avec amertume, ah ! cet homme m’a toujours haï !

— Charles, interrompit M. Prévère, respectons sa volonté ; ses droits sont sacrés. Surtout, gardons-nous, mon bon ami, d’être injustes par passion, en lui prêtant des sentiments qui sont loin de son cœur. Ne sondons point ses motifs ; ils peuvent être mal fondés, sans cesser d’être légitimes.

À ce trait de lumière : — Je les sais ! m’écriai-je, je les sais !… Ah ! monsieur Prévère, ah ! mon bienfaiteur ! mon père, mon seul ami sur la terre !… Je suis un enfant trouvé ! Et, tombant à genoux, je cachai dans ses deux mains mes sanglots et mon désordre. Je sentis bientôt ses larmes se confondre avec les miennes, et quelque douceur se mêler à mon désespoir.