Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/413

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Je jugeai à propos de me retirer, et déjà je m’y disposais, tout en regrettant de m’être mis en frais de compassion pour des gens au fond si contents, lorsque le père, s’adressant à moi : — Je veux vous mettre au fait, monsieur, de la cause de cette hilarité, qui doit vous paraître étrange : il s’agit d’un monsieur…

— Ce monsieur qui était ici tout à l’heure ?

— Précisément ; le plus obligeant du monde, mais le plus dangereux que je sache. Nous ne l’avions jamais vu, lorsqu’il s’est fourré dans la tête, là-bas, vers ces neiges, que nous courions quelque grand danger d’avalanche. Par pur dévouement alors, et avec un imperturbable aplomb, il a écarté notre guide, rossé notre mule et jeté ma fille dans le ravin… les rires interrompirent ce récit. En effet, plus l’alarme avait été vive, plus, le danger passé, ces circonstances se présentaient sous leur côté comique à l’esprit des trois voyageurs, et excitaient en eux la gaieté dont j’étais le témoin, et dont je fus bientôt le complice. J’y mis le comble en leur apprenant que, dans l’esprit du touriste, la jeune demoiselle passait pour poitrinaire, et son frère pour un fiancé auquel il reprochait une prosaïque froideur.

Le gros monsieur, toujours assis au coin du feu, avait écouté cet entretien sans y prendre part et sans s’associer à nos rires. À la fin, s’étant levé, comme pour gagner sa chambre : « … Un sot, dit-il, et un de mes compatriotes, vous pouvez y compter. Il n’y a qu’un de mes compatriotes qui réunisse à cet heureux degré l’étourderie et l’aplomb, la présomption et l’ignorance, et qui, plutôt que de douter de lui-même, vous jettera dans ce qu’il prend pour une avalanche une fraîche demoiselle qu’il prend pour une poitrinaire… Messieurs,