Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/416

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à la fois par ses manières naïves, et par je ne sais quelles fleurs de joie et d’espérance, dont rien encore n’avait terni les tendres et délicates couleurs. Gracieusement montée sur sa mule, qui, selon l’instinct propre à ces animaux, suivait le bord extérieur de la chaussée, elle penchait sur le précipice sans cesser de folâtrer avec une sécurité qui chez elle n’était pas courage, mais insoucieuse confiance. Cependant, lorsque l’entretien passait de la qualité des riz ou du prix des vins à des sujets plus de son goût, elle y prenait part, tantôt en se livrant à des saillies d’enjouement, tantôt en écoutant avec un sérieux plein d’intelligence. À deux ou trois reprises il fut question de son fiancé ; elle ne l’avait vu qu’une fois, elle parlait de lui sans embarras comme sans passion, sans paraître non plus voir dans le mariage autre chose qu’une fête délicieuse et perpétuelle. Aimable enfant ! tout en attachant sur elle mes regards, je me représentais sa future destinée, son désenchantement si prochain ; et, après avoir deviné quels mécomptes l’attendaient probablement au sein même d’un bonheur domestique incertain encore, j’aurais voulu être l’homme qui devait les lui épargner par sa constante tendresse, et par les ménagements qu’inspire un cœur délicat et vivement épris. Mais, comme je ne devais pas être cet homme, j’aimais mieux ne pas nourrir un sentiment qui devient bien vite pénible lorsqu’il est sans espoir. Voilà pourquoi je n’étais pas encore intérieurement décidé à assister à la noce du Piémontais.

Au bout de quatre heures nous arrivâmes à la Cité d’Aoste. C’était jour de foire. Sous l’ombre des ruines de l’amphithéâtre, et tout autour des antiques portes romaines, les paysans descendus des montagnes éta-