Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/43

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Il était environ sept heures lorsque je quittai la cure par une soirée dont l’éclat radieux ajoutait à ma tristesse. En passant près de la mare, j’y jetai les yeux, elle me sembla aride et morte : seulement je regardai, avec quelque envie les trois canards qui se récréaient au soleil du soir sur cette glèbe où ils étaient sûrs de demeurer heureux et paisibles ; et, songeant aux heures si douces que j’avais passées dans leur société, je m’éloignai d’eux avec un vif regret. Bientôt après, je rejoignis la route.

C’est seulement alors que je me sentis hors de la cure, et seul au monde. Un passif abattement ne tarda pas à succéder aux émotions bien moins amères du regret et de la douleur. Dépouillé de mes souvenirs, de mes espérances, de tous les objets auxquels jusqu’alors s’était liée ma vie, je m’acheminai vers un monde nouveau, vers une ville populeuse ; et tel était l’état de mon cœur, que j’eusse préféré mille fois m’avancer vers les plus arides solitudes. Nulle vie ne se faisait plus sentir : tout m’était fermé en arrière ; en avant tout m’était odieux. Autour de moi, les objets inanimés eux-mêmes, les haies, les prés, les clôtures que je dépassais, avaient changé d’apparence ; et, loin d’en regretter la vue, je hâtais mes pas, dans l’espérance d’éprouver moins de malaise quand le pays me serait moins familier. Il me fallait traverser le hameau ; mais, à la vue de quelques paysans qui goûtaient la fraîcheur du soir devant leurs maisons, je pris un sentier qui rejoignait la route au delà du village, et je dépassai l’âne de la cure, qui paissait dans un pré.




Néanmoins l’éclat de la soirée, les teintes animées du