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toutes les fois que les regards des passants s’arrêtaient sur moi.

Pendant que j’étais distrait par ces choses et par mille autres riens qui s’offraient à ma vue, je ne m’étais pas aperçu de la direction qu’avait prise le convoi. Tout à coup me retrouvant sous l’allée de hêtres, en face du gros portail, les impressions de l’année précédente se représentèrent à mon imagination, et je ne doutais plus que je ne fusse acteur dans une de ces scènes de mort et de sépulcres dont le mystère lugubre m’avait souvent causé tant de trouble.

Dès ce moment ma pensée se reporta sur mon grand-père, que je savais être dans le cercueil ; je compris qu’on le portait dans la terre, comme il m’avait dit qu’on pratiquait à l’égard des morts, et, dans l’impuissance où j’étais encore de me figurer un cadavre, je me le représentais couché tout vivant dans l’étroite bière, et j’attendais avec anxiété de voir ce qu’on allait lui faire. Quoiqu’un peu de curiosité se mêlât à la crainte que j’éprouvais, j’espérais bien que tout se passerait à distance, et que l’on ne franchirait pas le portail. Mais il en fut autrement.

Je n’avais jamais vu de cimetière, et comme je m’étais représenté ce lieu funèbre sous un aspect effrayant, je fus assez rassuré lorsque, étant entré, j’aperçus des arbres, des fleurs, et les rayons d’un beau soleil qui doraient la surface d’une grande prairie. Aussitôt des images plus douces s’offrirent à mon esprit, entre autres celle de mon grand-père, telle qu’il m’était apparu l’année précédente au bord de la petite anse. Je me le figurai habitant cette prairie, et s’y reposant au soleil, comme c’était sa coutume aux beaux jours d’août ou de juillet. Je venais d’être si agité, que, par une réaction