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gis. Mon père se livra à une violente douleur, et je m’y associai, persuadé qu’il pleurait sur le supplice de mon pauvre grand-père oppressé sous la terre.

Il faut que je sois né peureux. Ces impressions sont demeurées ineffaçables, et prêtes à se réveiller dans la nuit et la solitude, toutes les fois du moins que l’absence d’une pensée, d’un sentiment ou d’un but précis leur ouvrait un libre accès dans mon âme. Mais je reprends le récit des circonstances qui, à peu d’années de là, me livrèrent à des émotions bien plus fortes encore.

C’était aux premiers jours de mon adolescence. Comme il arrive quelquefois à cet âge, l’amour, dans toute la vivacité de ses premières atteintes, s’était emparé de mon jeune cœur. Tout entier à mes chères pensées, sans cesse préoccupé de douces chimères, j’étais devenu rêveur, taciturne, inappliqué. Aussi mon père s’en chagrinait, et mon régent affirmait que je n’avais aucune aptitude pour les langues mortes.

Amour d’adolescent, ai-je dit. En effet, je brûlais pour une personne qui aurait pu à la rigueur être ma mère, et c’est pourquoi j’avais soin de cacher à tous les regards ma secrète flamme, que le mystère entretenait, vive et pure, tandis que la moquerie l’eût éteinte.

La dame de mes pensées était une belle personne qui habitait la même maison que nous. Elle venait souvent chez mes parents, et, grâce à mon âge, j’allais librement chez elle. À mesure que je m’éprenais davantage, je trouvais des prétextes pour m’y rendre plus souvent, pour y rester plus longtemps ; à la fin j’y passais mes journées. Debout à ses côtés pendant qu’elle travaillait à quelque ouvrage d’aiguille, faute d’oser soupirer, je jasais, je tenais son écheveau, ou je courais après son peloton s’il venait à rouler sur le plancher. Que si quel-