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poussa à sa rencontre. J’aimais mieux encore l’aller trouver que de l’attendre fasciné et palpitant. Je m’aidai donc des rameaux de quelques pêchers adossés à la muraille, et je grimpai ainsi jusqu’au sommet, que j’enfourchai.

Point de bête ! Quoique je m’y attendisse parfaitement, j’eus tout le plaisir de la surprise. Les peureux prêtent l’oreille à deux voix qui se contredisent, celle de la peur et celle du sens commun, en sorte qu’écoutant tantôt l’une, tantôt l’autre, ou toutes les deux en même temps, ils sont sujets aux plus étranges inconséquences.

Au lieu de la bête, je voyais une plaine entourée de murailles, plus loin des arbres, et, au delà, la ville, dominée par la grosse tour de Saint-Pierre.

La vue de la ville me fit plaisir ; mais il n’y avait pas une lumière aux maisons, et la tour de Saint-Pierre ne me présentait rien de bien rassurant, lorsque le carillon de l’horloge se fit entendre…

Toutes mes terreurs s’envolèrent subitement. Ce son si connu me transporta comme en plein jour, et l’idée que d’autres écoutaient avec moi me fit perdre tout à fait le sentiment de mon isolement. Je redevins calme, brave, hardi… mais pour fort peu de temps. Le carillon se tut, l’horloge sonna deux heures, et toute la nature, qui m’avait semblé écouter le carillon avec moi, me parut de nouveau reporter toute son attention sur moi, perché là-haut sur ma muraille. Je me faisais petit, je m’effaçais, je me couchais de tout mon long sur cette crête étroite : impossible d’échapper aux regards. Les choux, les choux eux-mêmes, plantés en longues files, me semblaient des têtes alignées, des bouches ricanantes, des milliers d’yeux fixés sur ma personne. Je