Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/82

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paraissent moins savoureux que ce nuage vide, mais brillant, qui, m’enveloppant alors, m’entretenait dans une constante ivresse.

Fraîches matinées de mai, ciel bleu, lac aimable, vous voici encore ; mais… qu’est devenu votre éclat ! qu’est devenue votre pureté ? où est votre charme indéfinissable de joie, de mystère, d’espérance ? Vous plaisez à mes yeux, mais vous ne remplissez plus mon âme ; je suis froid à vos riantes avances ; pour que je vous chérisse encore, il faut que je remonte les années, que je rebrousse vers ce passé qui ne reviendra plus ! Chose triste, sentiment amer !

Ce sentiment, on le retrouve au fond de toute poésie, si encore il n’en est pas la source principale. Nul poëte ne s’alimente du présent, tous rebroussent ; ils font plus : refoulés vers ces souvenirs par les déceptions de la vie, ils en deviennent amoureux ; déjà ils leur prêtent des grâces que la réalité n’avait pas, ils transforment leurs regrets en beautés dont ils les parent ; et, se créant à l’envi un brillant fantôme, ils pleurent d’avoir perdu ce qu’ils ne possédaient pas.




En ce sens, la jeunesse est l’âge de la poésie, celui où elle amasse ses trésors, mais non, comme quelques-uns le croient, celui où elle peut en faire usage.

De cet or pur et entassé autour d’elle, elle ne sait rien tirer. Vienne le temps qui le lui arrache pièce à pièce : alors, en lui disputant sa proie, elle commence à connaître ce qu’elle avait ; par ses pertes, elle apprend ses richesses ; par ses regrets, ses joies taries. Alors le cœur se gonfle, alors l’imagination s’allume, alors la