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res données, je lus l’article, et, toujours plus alléché, je lus les notes, je lus le latin. Il y avait des choses singulières, d’autres touchantes, d’autres mystérieuses ; mais une partie de l’histoire manquait. Aussi je n’étais plus tant pour le rat, et il me semblait que la cause du chat fût, à quelques égards, bien soutenable.

Dans les volumes tronqués, c’est toujours ce qui manque qui semble le plus désirable à connaître. Les lacunes piquent la curiosité, mieux que les pages ne la satisfont. J’ai rarement la tentation d’ouvrir un volume ; je défais toujours les cornets pour les lire. Aussi trouvé-je que, pour un auteur, finir chez l’épicier, c’est moins triste que de languir chez le libraire.




Héloïse vivait au moyen âge. C’était un temps que je me figurais tout de couvents, de cellules, de cloches, avec de jolies nonnes, des moines barbus, et des sites boisés planant sur des lacs et des vallées ; témoin Pommiers et son abbaye, au pied du mont Salève. En fait de moyen âge, je ne sortais pas de là.

Cette jeune fille était la nièce d’un chanoine ; belle et pieuse enfant, charmante à mes yeux autant par ses attraits naturels que par l’habit de religieuse sous lequel je me la représentais. J’avais vu à Chambéry des sœurs du Sacré-Cœur, et sur ce modèle je façonnais toutes les nonnes, toutes les religieuses, et, au besoin, jusqu’à la papesse Jeanne.

Dans le temps qu’Héloïse, au sein d’une retraite profonde, s’embellissait de grâces pudiques et d’attraits ignorés, on ne parlait en tous lieux que d’un illustre docteur nommé Abeilard. Il était jeune et sage, d’un vaste savoir et d’une intelligence hardie. Sa figure at-