Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/65

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nous. Kellner, noch ein Glässchen Kirsch ! — Ne croyez pas que je sois un ivrogne, mais l’alcool me délie la langue.

— Après ce que vous venez de dire, dit en souriant Litvinof, je n’ai plus besoin de vous demander à quel parti vous appartenez, et quelle est votre opinion sur l’Europe.

Potoughine releva la tête.

— Je l’admire, je lui suis extrêmement dévoué, et ne crois nullement nécessaire de le cacher. Depuis longtemps… non, depuis peu de temps j’ai cessé de craindre d’exprimer mes convictions ; du reste, vous aussi vous n’avez pas hésité d’exprimer à M. Goubaref votre manière de voir. J’ai cessé, grâce à Dieu, de m’assimiler les opinions de celui avec lequel je m’entretiens. En réalité, je ne connais rien de pis que cette inutile poltronnerie, cette lâche complaisance qui fait qu’un homme d’État fait chez nous le chien couchant avec le premier petit étudiant venu, qu’il méprise au fond de son âme. Il use de ces subterfuges par désir de popularité, mais pour nous, simples mortels, nous n’avons pas besoin de recourir à de tels détours. Oui, je suis occidental, je suis dévoué à l’Europe, ou, pour parler plus exactement, je suis dévoué à la civilisation, à cette civilisation qu’on dénigre tant actuellement chez nous ; je l’aime de tout mon cœur, j’y crois, et je n’aurai jamais un autre amour, une autre fois. Ce mot de ci…vi…li…sa…tion est compréhensible, immaculé et sacré, tandis que