Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/132

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les producteurs. Il dit en effet : « Le même motif qui a établi l’échange de denrée à denrée entre les cultivateurs de terrains de diverses natures a donc dû amener aussi l’échange de la denrée contre le travail entre les cultivateurs et une autre partie de la société qui aura préféré l’occupation de préparer et de mettre en œuvre les productions de la terre, à celle de les faire naître.

Dans les mots que nous avons soulignés se trouve la base fondamentale de la distribution. Puisque pour reconnaître la vérité et la déduire des faits sociaux il faut recourir aux hypothèses, n’est-il pas équitable, n’est-il pas même absolument vrai de dire qu’alors que la civilisation a pénétré dans le monde, les hommes se sont divisé les travaux, les uns se sont adonnés à la culture, ils se sont faits les pourvoyeurs de tous ; les autres ont préparé les aliments, les armes, les habits, les instruments même de culture, sans lesquels le laboureur est inhabile à créer ? Quel privilège cette division peut-elle donner au laboureur ? Ne voyons-nous pas encore sous nos yeux, dans les familles agricoles même, cette division du travail ? Les femmes filent et préparent les aliments et les habits, les enfants, les femmes encore, vont porter les denrées au marché, les hommes labourent et raccommodent les instruments de culture. Vient-il à la pensée de quelqu’un des laboureurs, chefs de famille, de prélever une plus grande part du produit de la terre commune en échange de leur part du labeur commun ? Le droit à la subsistance peut bien être restreint, commenté, expliqué, mais non anéanti. Au reste, Turgot ne va pas jusque-là : il reconnaît que le stipendié a droit au fonds du salaire ; il ne s’agit que du plus ou du moins.

Veut-on se placer dans une autre hypothèse ? Une nation fait irruption dans un pays désert : elle se distribue le sol, chaque famille a sa part égale. Bientôt cependant le besoin de la division du travail se fait sentir. Ce qui se fait d’abord pour chaque famille, se fait pour des groupes de familles voisines ; les uns, dont l’adresse devient de plus en plus grande par la pratique, finissent, sollicités qu’ils sont par les récompenses, c’est-à-dire par une part de produits au moins égale à celle qu’ils tiraient de leur propre terre, par se faire ouvriers manufacturiers ; les autres restent au travail du sol, heureux de partager avec ceux qui leur viennent en aide par leur adresse. Ici encore, quel privilège peut invoquer le laboureur ? Et n’est-ce pas ainsi que les choses ont dû se passer ? S’il y a privilège,