Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/147

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c’est toujours la guerre qui fait les premiers fonds de ce commerce, il est évident qu’il ne peut subsister que par une énorme destruction d’hommes, et qu’autant qu’ils sont divisés en nations très-petites, qui se déchirent sans cesse, et que chaque bourgade fait la guerre à sa voisine. Que l’Angleterre, la France et l’Espagne se fassent la guerre la plus acharnée, les frontières seules de chaque État seront entamées, et cela par un petit nombre de points seulement ; tout le reste du pays sera tranquille, et le peu de prisonniers qu’on pourrait faire de part et d’autre serait une bien faible ressource pour la culture de chacune des trois nations.

§ XXIV. — La culture par esclaves ne peut subsister dans les grandes sociétés.

Lorsque les hommes se rassemblent en grandes sociétés, les recrues d’esclaves cessent d’être assez abondantes pour subvenir à la consommation qui s’en fait par la culture. Et quoique on supplée au travail des hommes par celui des bestiaux, il vient un temps où les terres ne peuvent plus être travaillées par des esclaves. L’usage ne s’en conserve que pour le service de l’intérieur des maisons, et à la longue il s’anéantit, parce qu’à mesure que les nations se policent, elles font entre elles des conventions pour l’échange des prisonniers de guerre. Ces conventions se font d’autant plus facilement, que chaque particulier est très-intéressé à écarter de lui le danger de tomber dans l’esclavage.

§ XXV. — L’esclavage de la glèbe succède à l’esclavage proprement dit.

Les descendants des premiers esclaves, attachés d’abord à la culture des terres, changent eux-mêmes de condition. La paix entre les nations ne laissant plus au commerce de quoi fournir à une très-grande consommation d’esclaves, les maîtres sont obligés de les ménager davantage.

Ceux qui sont nés dans la maison, accoutumés dès l’enfance à leur état, en sont moins révoltés, et les maîtres ont moins besoin d’employer la rigueur pour les contenir. Peu à peu, la glèbe qu’ils cultivent devient leur patrie ; ils n’ont d’autre langue que celle de leurs maîtres ; ils deviennent partie de la nation ; la familiarité s’établit, et à sa suite la confiance et l’humanité de la part des maîtres.

§ XXVI. — Le vasselage succède à l’esclavage de la glèbe, et l’esclave devient propriétaire. Troisième manière : aliénation du fonds à la charge d’une redevance.

L’administration d’un bien cultivé par des esclaves exige des