Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/162

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§ LIV. — Nécessité des avances pour la culture.

Tous les genres de travaux de la culture, de l’industrie, du commerce, exigent des avances. Quand on labourerait la terre avec les mains, il faudrait semer avant de recueillir ; il faudrait vivre jusqu’après la récolte. Plus la culture se perfectionne et s’anime, plus les avances sont fortes. Il faut des bestiaux, des outils aratoires, des bâtiments pour loger les bestiaux, pour serrer les récoltes ; il faut payer et faire subsister jusqu’à la récolte un nombre de personnes proportionné à l’étendue de l’exploitation. Ce n’est que par de fortes avances qu’on obtient de riches produits, et que les terres donnent beaucoup de revenu. Dans quelque métier que ce soit, il faut d’avance que l’ouvrier ait des outils, qu’il ait une suffisante quantité des matières qui sont l’objet de son travail ; il faut qu’il subsiste en attendant la vente de ses ouvrages[1].

§ LV. — Premières avances fournies par la terre encore inculte.

C’est toujours la terre qui est la première et l’unique source de toute richesse ; c’est elle qui, par la culture, produit tout le revenu ; c’est elle aussi qui a donné le premier fonds des avances antérieures à toute culture. Le premier cultivateur a pris les graines qu’il a semées sur des plantes que la terre avait produites d’elle-même ; en attendant la récolte, il a vécu de chasse, de pêche, de fruits sauvages ; ses outils ont été des branches d’arbres arrachées dans les forêts, taillées avec des pierres tranchantes aiguisées contre d’autres pierres ; il a pris lui-même à la course, ou fait tomber dans ses pièges, les animaux errants dans les bois ; il les a soumis, apprivoisés ; il s’en est servi d’abord pour sa nourriture, ensuite pour l’aider dans son travail. Ce premier fonds s’est accru peu à peu ; les bestiaux surtout furent, de toutes les richesses mobiliaires, la plus recherchée dans ces premiers temps, et celle qu’il fut le plus facile d’accumuler : ils périssent, mais ils se reproduisent, et la richesse en est en quelque sorte impérissable : elle s’augmente par la seule voie de la génération, et les bestiaux donnent de plus un produit annuel, soit en laitages, soit en laines, en cuirs et autres matières qui, avec le bois pris dans les forêts, ont été le premier fonds des ouvrages d’industrie.

  1. Dans cette dernière phrase se trouve implicitement la raison qui fait que l’ouvrier peut prétendre, outre sa subsistance, à une part de profits : c’est l’intérêt du capital dépensé en achat d’outils, en acquisition de talent, en subsistance même avant le travail, etc. (Hte D.)