Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/163

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

§ LVI. — Bestiaux, richesse mobiliaire antérieure même à la culture des terres.

Dans un temps où il y avait encore une grande quantité de terres incultes et qui n’appartenaient à personne, on put avoir des bestiaux sans être propriétaire de terres. Il est même probable que les hommes ont presque partout commencé à rassembler des troupeaux et à vivre de leur produit avant de se livrer au travail plus pénible de la culture.

Il paraît que les nations qui ont le plus anciennement cultivé la terre sont celles qui ont trouvé dans leur pays des espèces d’animaux plus susceptibles d’être apprivoisés, et qui par là ont été conduits de la vie errante et agitée des peuples qui vivent de chasse et de pêche, à la vie plus tranquille des peuples pasteurs.

La vie pastorale fait séjourner plus longtemps dans un même lieu ; elle donne plus de loisir, plus d’occasions d’étudier la différence des terrains, d’observer la marche de la nature dans la production des plantes qui servent à la nourriture des bestiaux. Peut-être est-ce par cette raison que les nations asiatiques ont cultivé la terre les premières, et que les peuples de l’Amérique sont restés si longtemps dans l’état de sauvages.

§ LVII. — Les richesses mobiliaires ont une valeur échangeable contre la terre elle-même.

Ceux qui avaient beaucoup de richesses mobiliaires pouvaient les employer non-seulement à la culture des terres, mais encore aux différents travaux de l’industrie. La facilité d’accumuler ces richesses et d’en faire usage même indépendamment des terres fit qu’on put évaluer les terres elles-mêmes, et comparer leur valeur à celle des richesses mobiliaires.

Un homme qui aurait eu une grande quantité de terres sans bestiaux ni instruments, ou sans une quantité suffisante de bestiaux et d’instruments, aurait certainement fait un marché avantageux en cédant une partie de ses terres à un homme qui lui aurait donné en échange des bestiaux et des instruments pour cultiver le reste[1]. C’est par là principalement que les fonds de terre eux-mêmes en-

  1. C’est parce qu’en France il y a encore des gens qui ne savent pas faire ce simple raisonnement, qu’il se trouve de grandes propriétés mal soignées, de grands propriétaires mal à l’aise. Ils n’ont pas assez d’argent pour cultiver ou améliorer tous leurs domaines. Ilss n’ont pas assez de jugement pour en vendre une portion afin de cultiver le reste. (Hte D.)