Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/189

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terre vaut toujours quatre cent mille francs : quand le propriétaire a emprunté cent mille francs, cela ne fait pas cinq cent mille francs ; cela fait seulement que, sur les quatre cent mille francs, il en appartient cent au préteur, et qu’il n’en appartient plus que trois cents à l’emprunteur.

Le même double emploi aurait lieu si l’on faisait entrer dans le calcul total des capitaux l’argent prêté à un entrepreneur pour être employé aux avances de son entreprise ; car ce prêt n’augmente pas la somme totale des avances nécessaires à l’entreprise ; il en résulte seulement que cette somme, et la partie des profits qui en représente l’intérêt, appartiennent au prêteur. Qu’un commerçant emploie dix mille francs de son bien dans son commerce et en tire tout le profit, ou qu’il ait emprunté ces dix mille francs à un autre auquel il en paye l’intérêt, en se contentant dû surplus du profit et du salaire de son industrie, ce n’est jamais que dix mille francs.

Mais si l’on ne peut comprendre, sans faire un double emploi, dans le calcul des richesses d’une nation, le capital des intérêts de l’argent prêté, l’on doit y faire entrer tous les autres biens-meubles, qui, quoique formant originairement un objet de dépense, et ne portant aucun profit, deviennent cependant par leur durée un vrai capital qui s’accumule sans cesse, et qui, pouvant au besoin être échangé contre de l’argent, fait comme un fonds en réserve qui peut rentrer dans le commerce, et suppléer, quand on voudra, à la perte d’autres capitaux. Tels sont les meubles de toute espèce, les bijoux, la vaisselle, les tableaux, les statues, l’argent comptant enfermé dans le coffre des avares : toutes ces choses ont une valeur, et la somme de toutes ces valeurs peut être un objet considérable chez les nations riches ; mais, considérable ou non, toujours est-il vrai qu’il doit être ajouté à la somme du prix des biens-fonds, et à celle des avances circulantes dans les entreprises de tout genre, pour former la somme totale des richesses d’une nation. Au reste il n’est pas besoin de dire que, quoiqu’on puisse très-bien définir, comme on vient de le faire, en quoi consiste la totalité des richesses d’une nation, il est vraisemblablement impossible de découvrir à combien elles se montent ; à moins que l’on ne trouve quelque règle pour fixer la proportion du commerce total d’une nation avec le revenu de ses terres : chose faisable peut-être, mais qui n’a pas encore été exécutée d’une manière à lever tous les doutes.