Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/204

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contraire, ne mesurent l’étendue que par l’étendue même. Il n’y a d’arbitraire et de variable que le choix de la quantité d’étendue qu’on est convenu de prendre pour l’unité, et les divisions qu’on a adoptées pour faire connaître les différentes mesures. Il n’y a donc point de substitution à faire d’une chose à une autre ; il n’y a que des quantités à comparer et des rapports à substituer à d’autres rapports.

Le terme commun auquel se rapportent les monnaies de toutes les nations est la valeur même de tous les objets de commerce qu’elles servent à mesurer. Mais cette valeur, ne pouvant être désignée que par la quantité même des monnaies auxquelles elle correspond, il s’ensuit qu’on ne peut évaluer une monnaie qu’en une autre monnaie : de même qu’on ne peut interpréter les sons d’une langue que par d’autres sons.

Les monnaies de toutes les nations policées étant faites des mêmes matières, et ne différant entre elles, comme les mesures, que par les divisions de ces matières et par la fixation arbitraire de ce qu’on regarde comme l’unité, elles sont susceptibles, sous ce point de vue, d’être réduites les unes aux autres, ainsi que les mesures usitées chez les différentes nations.

Nous verrons, dans la suite, que cette réduction se fait d’une manière très-commode, par l’énonciation de leur poids et de leur titre.

Mais cette manière d’évaluer les monnaies par l’énonciation du poids et du titre ne suffit pas pour faire entendre le langage du commerce par rapport aux monnaies. Toutes les nations de l’Europe en connaissent deux sortes. Outre les monnaies réelles comme l’écu, le louis, le crown, la guinée, qui sont des pièces en métal, marquées d’une empreinte connue, et qui ont cours sous ces dénominations, elles se sont fait chacune une espèce de monnaie fictive, qu’on appelle de compte ou numéraire dont les dénominations et les divisions, sans correspondre à aucune pièce de monnaie réelle, forment une échelle commune à laquelle on rapporte les monnaies réelles, en les évaluant par le nombre de parties de cette échelle auxquelles elles correspondent. Telle est en France la livre de compte ou numéraire, composée de vingt sous, et dont chacun se subdivise en douze deniers. Il n’y a aucune pièce de monnaie qui réponde à une livre ; mais un écu vaut trois livres ; un louis vaut vingt-quatre livres, et l’énonciation de la valeur de ces deux monnaies réelles en une monnaie de compte établit le rapport de l’écu au louis comme d’un à huit.