Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il exprime cette bonté relative à nos besoins par laquelle les dons et les biens de la nature sont regardés comme propres à nos jouissances, à la satisfaction de nos désirs. On dit qu’un ragoût ne vaut rien quand il est mauvais au goût, qu’un aliment ne vaut rien pour la santé, qu’une étoffe vaut mieux qu’une autre étoffe, expression qui n’a aucun rapport à la valeur commerçable, et signifie seulement qu’elle est plus propre aux usages auxquels on la destine.

Les adjectifs mauvais, médiocre, bon, excellent, caractérisent les divers degrés de cette espèce de valeur. On doit cependant observer que le substantif valeur n’est pas à beaucoup près aussi usité en ce sens que le verbe valoir. Mais si l’on s’en sert, on ne peut entendre par là que la bonté d’un objet relativement à nos jouissances. Quoique cette bonté soit toujours relative à nous, nous avons cependant en vue, en expliquant le mot de valeur, une qualité réelle, intrinsèque à l’objet et par laquelle il est propre à notre usage.

Ce sens du mot valeur aurait lieu pour un homme isolé, sans communication avec les autres hommes.

Nous considérerons cet homme n’exerçant ses facultés que sur un seul objet ; il le recherchera, l’évitera ou le laissera avec indifférence. Dans le premier cas, il a sans doute un motif de rechercher cet objet : il le juge propre à sa jouissance, il le trouvera bon, et cette bonté relative pourrait absolument être appelée valeur. Mais cette valeur, n’étant point comparée à d’autres valeurs, ne serait point susceptible de mesure, et la chose qui vaut ne serait point évaluée.

Si ce même homme a le choix entre plusieurs objets propres à son usage, il pourra préférer l’un à l’autre, trouver une orange plus agréable que des châtaignes, une fourrure meilleure pour le défendre du froid qu’une toile de coton : il jugera qu’une de ces choses vaut mieux qu’une autre ; il comparera dans son esprit, il appréciera leur valeur. Il se déterminera en conséquence à se charger des choses qu’il préfère et à laisser les autres.

Le sauvage aura tué un veau qu’il portait à sa cabane : il trouve en son chemin un chevreuil ; il le tue, et il le prend à la place du veau, dans l’espérance de manger une chair plus délicate. C’est ainsi qu’un enfant qui a d’abord rempli ses poches de châtaignes, les vide pour faire place à des dragées qu’on lui présente.

Voilà donc une comparaison de valeurs, une évaluation des diffé-