Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle d’autrui. Dans cette vue, chacun tiendra secrète la comparaison qu’il a faite intérieurement de ses deux intérêts, des deux valeurs qu’il attache aux deux denrées à échanger, et il sondera par des offres plus faibles et des demandes plus fortes le possesseur de la denrée qu’il désire. Celui-ci tenant de son côté la même conduite, ils disputeront sur les conditions de l’échange, et comme ils ont tous deux un grand intérêt à s’accorder, ils s’accorderont à la fin : peu à peu chacun d’eux augmentera ses offres ou diminuera ses demandes, jusqu’à ce qu’ils conviennent enfin de donner une quantité déterminée de maïs pour une quantité déterminée de bois. Au moment où l’échange se fait, celui qui donne, par exemple, quatre mesures de maïs pour cinq brasses de bois, préfère sans doute ces cinq brasses aux quatre mesures de maïs ; il leur donne une valeur estimative supérieure ; mais, de son côté, celui qui reçoit les quatre mesures de maïs les préfère aux cinq brasses de bois. Cette supériorité de la valeur estimative attribuée par l’acquéreur à la chose acquise sur la chose cédée est essentielle à l’échange, car elle en est l’unique motif. Chacun resterait comme il est s’il ne trouvait un intérêt, un profit personnel à échanger ; si, relativement à lui-même, il n’estimait ce qu’il reçoit plus que ce qu’il donne.

Mais cette différence de valeur estimative est réciproque et précisément égale de chaque côté ; car si elle n’était pas égale, l’un des deux désirerait moins l’échange et forcerait l’autre à se rapprocher de son prix par une offre plus forte. Il est donc toujours rigoureusement vrai que chacun donne valeur égale pour recevoir valeur égale. Si l’on donne quatre mesures de maïs pour cinq brasses de bois, on donne aussi cinq brasses de bois pour quatre mesures de maïs, et par conséquent quatre mesures de maïs équivalent, dans cet échange particulier, à cinq brasses de bois. Ces deux choses ont donc une valeur échangeable égale.

Arrêtons-nous encore. Voyons ce que c’est précisément que cette valeur échangeable dont l’égalité est la condition nécessaire d’un échange libre ; ne sortons point encore de la simplicité de notre hypothèse, où nous n’avons que deux contractants et deux objets d’échange à considérer. — Cette valeur échangeable n’est pas précisément la valeur estimative, ou en d’autres termes l’intérêt que chacun des deux attachait séparément aux deux objets de besoin dont il comparait la possession pour fixer ce qu’il devait céder de