Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/402

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sera la plus grande possible quand le produit de chaque arpent de terre et de l’industrie de chaque individu sera porté au plus haut point possible ? Et que le propriétaire de chaque terre a plus d’intérêt que personne à en tirer le plus grand revenu possible ? Que chaque individu a le même intérêt à gagner avec ses bras le plus d’argent qu’il peut ? — Il n’est pas moins évident que l’emploi de la terre ou de l’industrie qui procurera le plus de revenu à chaque propriétaire ou à chaque habitant sera toujours l’emploi le plus avantageux à l’État, parce que la somme que l’État peut employer annuellement à ses besoins est toujours une partie aliquote de la somme des revenus qui sont annuellement produits dans l’État, et que la somme de ces revenus est composée du revenu net de chaque terre, et du produit de l’industrie de chaque particulier. — Si donc, au lieu de s’en rapporter là-dessus à l’intérêt particulier, le gouvernement s’ingère de prescrire à chacun ce qu’il doit faire, il est clair que tout ce que les particuliers perdront de bénéfices par la gêne qui leur sera imposée, sera autant de retranché à la somme du revenu net produit dans l’État chaque année.

S’imaginer qu’il y a des denrées que l’État doit s’attacher à faire produire à la terre plutôt que d’autres ; qu’il doit établir certaines manufactures plutôt que d’autres ; et en conséquence prohiber certaines productions, en commander d’autres, interdire certains genres d’industrie dans la crainte de nuire à d’autres genres d’industrie ; prétendre soutenir les manufactures aux dépens de l’agriculture, en tenant de force le prix des vivres au-dessous de ce qu’il serait naturellement ; établir certaines manufactures aux dépens du trésor public ; accumuler sur elles les privilèges, les grâces, les exclusions de toute autre manufacture de même genre dans la vue de procurer aux entrepreneurs un gain qu’on s’imagine que le débit de leurs ouvrages ne produirait pas naturellement : c’est se méprendre grossièrement sur les vrais avantages du commerce ; c’est oublier que, nulle opération de commerce ne pouvant être que réciproque, vouloir tout vendre aux étrangers et ne rien acheter d’eux, est absurde[1].

On ne gagne à produire une denrée plutôt qu’une autre qu’autant que cette denrée rapporte, tous frais déduits, plus d’argent à celui

  1. C’est encore, en d’autres termes, confondre le besoin social des échanges avec l’intérêt privé des hommes par le ministère desquels ces échanges ont lieu. (E. D.)