Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/412

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tante, de commerce ou d’économie politique, sur laquelle il n’ait écrit plusieurs mémoires ou lettres raisonnées. Il se livrait à ce genre de travail avec une sorte de prodigalité, produisant presque toujours, à chaque occasion, de nouveaux mémoires, sans renvoyer aux mémoires antérieurs qu’il avait écrits, ne cherchant à s’éviter ni la peine de retrouver les idées qu’il avait déjà exprimées, ni le désagrément de se répéter. La raison de cette manière de travailler était le peu de prix qu’il attachait à ce qu’il composait, et l’oubli total de toute réputation littéraire. Plein de ses principes salutaires et féconds, il les appliquait à chaque matière avec une extrême facilité. Uniquement occupé de persuader une idée utile, il ne croyait pas être auteur. Ne s’attachant point à ce qu’il avait écrit, il l’abandonnait sans réserve à tous ceux qui voulaient s’instruire ou écrire sur ces matières, et le plus souvent ne gardait pas même de copies de ce qu’il avait fait. Ces morceaux cependant, jetés à la hâte sur le papier, et qu’il avait oubliés, sont précieux, à ne les regarder même que du côté de la composition : une éloquence naturelle, une précision lumineuse dans l’exposition des principes, un art singulier de les présenter sous toutes sortes de faces, de les proportionner à tous les esprits, de les rendre sensibles par des applications toujours justes, et dont la justesse même était souvent piquante ; une politesse toujours égale, et une logique fine dans la discussion des objections ; enfin un ton de patriotisme et d’humanité qu’il ne cherchait point à prendre et qu’il n’en avait que mieux, caractérisaient ses écrits comme sa conversation.

M. de Gournay ne se contentait pas de proposer ses idées par écrit et de vive voix : il employait à faire valoir les idées qu’il croyait utiles la même activité, la même chaleur, la même persévérance, qu’un ambitieux met à la poursuite de ses propres intérêts. Incapable de se rebuter lorsqu’il s’agissait du bien, il n’aurait pas craint de pousser ses efforts jusqu’à l’importunité. Aucun propriétaire de nos îles n’a réclamé avec autant de zèle que lui la liberté générale du commerce des vaisseaux neutres, dans nos colonies, pendant la guerre. Ses sollicitations étaient d’autant plus vives et plus pressantes, qu’il ne demandait rien pour lui, au point qu’il est mort sans aucun bienfait de la cour.

Cependant, tandis qu’il s’occupait uniquement de l’utilité publique, sa fortune s’était dérangée aussi bien que sa santé. Il avait