Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/459

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rait-il pas avec lui son remède ? Quelques-uns de ceux qui exercent ce métier n’en prendraient-ils pas un autre[1] ? Ne se formerait-il pas moins d’apprentis pour un métier devenu moins lucratif ? Employer un autre remède ne serait-ce pas, pour guérir un mal passager, en introduire de bien plus dangereux et bien plus propres à s’enraciner ?

IV. Si nous avons un grand nombre de bras inoccupés par le défaut de demande de leur travail, quel sera la meilleure politique, de chasser ou d’appeler des consommateurs ?

V. Je suppose qu’on chasse la moitié des hommes qui sont actuellement dans la Grande-Bretagne, qu’importe quel nom on leur donne ; je demande si c’est un moyen de procurer plus de travail à ceux qui resteraient, et si au contraire cinq millions d’habitants de plus n’augmenteraient pas du double l’emploi des hommes et les consommations[2] ?


    qu’ils auront ou trop ou trop peu de mains. Dans une pareille circonstance, les personnes attachées au métier que la mode abandonne, manquent effectivement d’emploi. Mais qui peut tirer de là un argument contre le bill de naturalisation ? la même chose n’arriverait-elle pas, quand il n’y aurait en Angleterre que la dixième partie du peuple qu’elle nourrit ; et les villes les moins habitées n’en font-elles pas tous les jours l’expérience ?

    Un deuil long et général dans une nation est encore une cause qui augmente prodigieusement la demande d’une sorte de marchandise, et qui arrête totalement le débit de quelques autres ; mais on ne peut pas empêcher de pareils hasards : ils pourraient arriver en France ou en tout autre pays sans aucun rapport au nombre des habitants. (Note de l’auteur.)

  1. Quelque vrais que soient ces principes, il faut avouer que les variations dans les modes et les caprices des consommateurs font souvent qu’une profession particulière se trouve réellement surchargée d’hommes. L’industrie se met d’elle-même en équilibre avec les salaires offerts. S’il y a un métier où l’on gagne plus, un certain nombre d’artisans abandonne celui où l’on gagne moins. Mais, si la communication est interceptée entre les différents canaux de l’industrie par des obstacles étrangers ; si des règlements téméraires empêchent le fabricant de se plier au goût du consommateur ; si des communautés exclusives, des apprentissages de dix ans pour des métiers qu’on peut apprendre en dix jours ; si des monopoles de toute espèce lient les bras à ce malheureux artisan, qu’un changement de mode oblige de renoncer à un travail qui ne le nourrit plus, le voilà condamné par notre police à l’oisiveté, et forcé de mendier ou de voler. C’est ainsi que, par nos règlements et nos communautés, les hommes nous deviennent à charge. Mais est-ce là un argument contre l’augmentation du nombre des citoyens, ou contre nos communautés exclusives et nos règlements ? (Note de Turgot.)
  2. Ces hommes éprouveraient certainement le besoin de consommer ; mais, si les capitaux manquaient pour leur fournir du travail, avec quoi payeraient-ils le montant de leurs consommations ? — Voyez les notes 2 et 3 de la page 328. (E. D.)