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d’emploi pour les naturels est une raison suffisante contre l’admission des étrangers, ne doit-elle pas autant porter à défendre qu’on fasse des enfants avant que ceux qui sont déjà nés soient pourvus d’emploi ?

VII. Combien ne nous éloignons-nous pas de cette politique dans l’administration de nos colonies, où nous savons si bien le prix du nombre des hommes[1] !

Section VII. — La multiplication des habitants est la force d’un royaume.

I. S’il n’y a pas dans la Bible un certain passage à l’égard duquel presque toute la nation anglaise semble s’être rendue coupable d’une infidélité héréditaire ? C’est au chap. xiv des Proverbes, v. 28 : « La multitude du peuple est la gloire du roi. » Si ce passage s’accorde bien avec la maxime que nous avons déjà trop de peuple ?

II. Si les Français n’ont pas, mieux que nous, rendu hommage à cette leçon du plus sage des hommes ? Si tandis que chez eux le gouvernement invite au mariage par les voies puissantes de l’honneur et de l’intérêt, les plus petits marguilliers de village ne s’arrogent pas souvent chez nous le droit d’empêcher qu’on ne publie les bancs de ceux qui pourraient devenir, le moins du monde, à charge à la paroisse[2] ?

III. Si le jeune duc de Bourgogne, parvenu à l’âge de trente ans, ne pourra pas conduire dans les combats un corps considérable de jeunes gens à la fleur de leur âge et qui lui auront dû leur naissance ? Et si l’on doit espérer qu’un seul Anglais battra dix de ces jeunes soldats ?

IV. Quelle est la force d’un État ? Toutes choses égales, l’État le plus fort n’est-il pas le plus peuplé ?

V. Une nation pauvre peut-elle armer et entretenir de grandes forces navales ? Un pays mal peuplé peut-il n’être pas pauvre ? Et ce pays peut-il réserver pour combattre ses ennemis un nombre d’hommes suffisant, sans faire un préjudice notable à la culture des terres et aux manufactures ?

  1. L’auteur ne fait pas attention qu’une colonie nouvelle est pourvue, d’une manière surabondante, du plus important de tous les capitaux, la terre. De là le prompt développement de la richesse aux États-Unis. (E. D.)
  2. Tout en convenant qu’il n’appartient à personne d’empêcher le mariage, il faut reconnaître que les lois qui accordent des primes aux femmes enceintes sont absurdes. (E. D.)