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sujets à rester chez eux, en refusant de les recevoir et de les incorporer parmi nous, ou de les attirer chez nous par les bons traitements, et en les faisant jouir des avantages des autres citoyens ?

VII. Si l’on voulait faire une estimation générale des richesses de l’Angleterre, par où s’y prendrait-on pour les supputer ? Par le nombre des acres de terre ? Par celui des maisons ? Par la somme des capitaux ? Par la quantité de marchandises ? Mais d’où tout cela tire-t-il sa valeur, si ce n’est du nombre des habitants qui possèdent, emploient, achètent, vendent, voiturent et exportent toutes ces choses ou ce qu’elles produisent ?

Section IX. — La multiplication des habitants augmente le revenu des propriétaires de terres.

I. Les terres voisines de Londres ne sont-elles pas affermées quarante fois plus haut que les terres d’une égale bonté situées dans les provinces éloignées de l’Angleterre, dans la principauté de Galles ou dans l’Écosse ? D’où vient cette différence dans le revenu des terres, si ce n’est de la différence dans le nombre des habitants[1] ? Et si ces terres éloignées produisent encore quelque argent, ne le doivent-elles pas à la facilité d’en transporter les fruits dans des lieux plus peuplés ?

II. Si l’on pouvait transporter la ville de Bristol à quarante milles

  1. Les terres qui sont dans le voisinage d’une grande ville rapportent un fermage plus considérable que celles qui en sont à une grande distance, sans être plus fertiles, parce qu’il ne saurait y avoir sur le marché deux prix différents pour des denrées similaires de qualité égale, et que ce prix doit acquitter les frais de transport des choses venues de loin. C’est par suite du même principe que, lorsque l’accroissement de la population force à la culture successive des terres de qualité inférieure, il arrive que le fermage des bonnes s’élève progressivement. L’expression de cette vérité, entrevue par Josias Tucker, constitue ce qu’on appelle la grande découverte de Ricardo sur la théorie de la rente territoriale, découverte qui a fait dire à Mac Culloch qu’Adam Smith n’avait pas connu la nature, l’origine et les causes du fermage. Il doit être permis de trouver cette assertion fort exagérée, sans nier le mérite des analyses de Ricardo, car Smith a dit implicitement, dans son chapitre sur la Rente de la terre, tout ce que l’auteur des Principes de l’économie politique et de l’impôt peut avoir avancé, sur ce sujet, d’une manière plus explicite. Qu’on délivre, si l’on veut, un brevet de perfectionnement à Ricardo, mais qu’on lui accorde le titre d’inventeur pour avoir rédigé une monographie dont tous les éléments fondamentaux sont empruntés au livre de la Richesse des nations, cela ne nous paraît pas juste. Cette opinion est également celle de J.-B. Say, qui la développe avec sa clarté habituelle, dans son chapitre des Systèmes sur la production territoriale. — Voyez Cours d’économie polit., 2e édition, tome Ier, pages 218 et suivantes. (E. D.)