Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/466

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V. Puisque les campagnes sont la source commune qui fournit des hommes aux différents métiers et à la livrée, ces étrangers qui viennent ici remplir les fonctions de manœuvres ou de domestiques, ne font-ils pas qu’on enlève moins de personnes à la charrue ? Je suppose qu’on renvoie tous ces étrangers, ne faudra-t-il pas que leur place soit remplie par des gens qui sans cela auraient toujours été occupés aux travaux de la campagne ?

VI. N’avons-nous plus de lumières à attendre des autres nations sur les moyens de perfectionner l’agriculture, et sommes-nous sûrs que ces mêmes étrangers, de qui nous tenons tant de découvertes utiles sur la culture des prairies, le jardinage, et les autres parties de l’économie rustique, n’ont plus rien à nous apprendre ?

VII. Un pays mal peuplé a-t-il jamais été bien cultivé ? Dans quelles provinces de l’Angleterre les terres sont-elles aujourd’hui améliorées avec plus de soin ? dans celles qui ont le moins d’habitants, ou dans celles qui en ont le plus ?

VIII. Est-il de la prudence et de la bonne politique de laisser de si vastes terrains en landes et en communes auprès de la capitale du royaume ? À quoi servent aujourd’hui ces terrains, qu’à rassembler les voleurs, à faciliter leurs brigandages, et à leur assurer une retraite contre les poursuites de la justice ? Si ces landes étaient bien cultivées, fermées de haies et remplies d’habitants, tous ces désordres auraient-ils lieu ?

Section XI. — Les deux intérêts du royaume, l’intérêt terrien, l’intérêt du commerce, rentrent l’un dans l’autre.

I. Quel est le véritable intérêt terrien ? Un projet avantageux au commerce de la nation peut-il jamais être opposé à l’intérêt des possesseurs des terres[1] ?

II. Si notre commerce tombe, si nos rivaux s’emparent de nos arts, si les maisons sont abandonnées, les marchands dispersés et les manufacturiers forcés de chercher une autre patrie, que deviendront alors nos fermes et nos herbages ? Comment le tenancier payera-t-il sa rente ? Comment le gentilhomme pourra-t-il soutenir son rang, son état, et satisfaire aux taxes et aux réparations ?

  1. Non, car l’extension du commerce, qui implique celle des manufactures, accroît la demande de tous les produits bruts, force à cultiver les terres de qualité inférieure, et par suite élève le fermage ou la rente territoriale. Les questions suivantes prouvent que l’auteur comprenait cette vérité. (E. D.)